Tu étais dans la salle de banquet depuis le début du Bal. Comme d'autres membres du personnel de Lachlan, tu chaperonnais les jeunes ce soir. Ça ne te dérangeait absolument pas : à vrai dire, quand tu avais su qu'il fallait des chaperons comme l'année précédente, tu t'étais proposée pour surveiller les jeunes. Ça n'était pas totalement désintéressé, bien entendu : tu pouvais ainsi profiter de la musique sans avoir le grésillement constant de ta radio qui n'était pas parfaitement réglée, et tu en profitais pour voir Don. Bon, bien sûr, tu ne pouvais pas batifoler, tu avais un devoir… mais tout de même, si la chance vous souriait, tu pourrais peut-être danser avec lui.

De toute façon, ça n'était un secret pour personne que toi et Don étiez fiancés. Vous aviez publié la nouvelle de vos fiançailles dans le journal de l'école, plus ou moins poussés par Penny d'ailleurs. L'infirmière avait menacé en riant de le faire savoir à tout le monde qui passait dans l'infirmerie, donc vous aviez préféré la précéder. Et puis, c'était tout de même agréable de faire savoir à l'ensemble de l'institut Lachlan que vous étiez heureux ensemble. Ça n'était pas non plus comme si vous les invitiez à votre mariage.

Tes mains dans le dos, reposant sur l'arrière de la jupe droite ocre qui était cousue à un haut brodé d'une manière tout à fait typique de la mode de l'époque. La coquetterie était un vice, mais tu t'étais permis de te faire belle, ne serait-ce que pour réjouir les yeux de Don. Tu ne savais plus si Orphée, ton collègue bibliothécaire, t'avait dit qu'il viendrait, mais tu voyais le vieux vicelard de Reeves qui était là (malheureusement), et se rinçait la vue. Du moment que tu restais loin de lui, tu te porterais bien.

Tu dodelinais de la tête doucement, au rythme de la musique. C'était dommage, tout de même, que tu sois chaperon. Tu aurais bien aimé danser comme tu le faisais parfois seule dans ton appartement. Mais bon, la décence voulait que tu te tiennes à carreaux, alors tu le ferais. Et tu cherchais sans bouger, du regard, ton prince charmant.

Spoiler:

Ce soir était le soir où les jeunes allaient danser et se laisser enivrer dans le rythme endiablé d'un Elvis Charnues ou bien de cinq guignols en carton. J'étais censés ne pas y aller, Reeves me l'avait formellement interdit. Il ne voulait pas voir ma face se cacha poulpe dans une soirée bien habillée. Moi et mes cheveux dignes du fils de Satan. Reeves n'était pas méchant faut dire. Juste que le côté gamin d'Orphée l'insupportait. Orphée est arrivée dans une tenue plutot sobre en entrant je vis Tawny habillé d'une jolie robe beige. Cela lui allait à ravir, je dois dire que travaillais avec une belle femme faisait passer le temps à une vitesse, je m'approchais d'elle, son fiancé n'étant pas arrivé je ne voulais pas la laisser seule à une soirée comme celle-ci. Je lui dis alors: « Bonsoir Milady, vous êtes magnifique ce soir. »

J'avais laissé le Numéro Quatre de Gainsbourg tourner sur la platine, en sourdine, pendant que je me préparais pour la soirée. Je n'y allais que pour passer la soirée avec Tawny. Pour le reste, je traîne les pieds. Déjà jouer les chaperons ne m'avait jamais enthousiasmé. Mais elle est là. Elle serait forcément là. Elle ne loupera pas ce genre de soirées. Enfin la supputation est facile. J'essaie de l'écarter de mes pensées alors que je ferme quelques boutons de ce gilet offert par Tawny lorsque nous étions allés à Paris, pour nos fiançailles. La veste de costume noir et je suis prêt à descendre. J'interromps la récitation de Baudelaire par mon ami Gainsbourg et presse le pas jusqu'à la salle de banquet. Nous sommes tenus, le personnel et les enseignants, d'arriver plus tôt que les élèves. Je peux entendre, plus distinctement au fur et à mesure que je m'approche, des notes d'une chanson des Tremoloes, dont je ne suis pas spécialement fan. Mais l'ironie existe. Silence is Golden, disent-ils. Je m'arrête un instant, observe la salle d'un air impassible. J'aperçois à gauche ce vieux pervers de Reeves en train de reluquer quelque chose. J'ai peur, mon coeur s'accélère. C'est bien Tawny qu'il regardait depuis tout à l'heure de son oeil vitreux. Je serre mon poing mais ne ferai rien. Je n'ai ni le courage ni l'autorisation de m'en prendre à ce vieux rapace. Au lieu de cela, je franchis la distance qui nous sépare d'un pas décidé. Sa tenue est superbe, mais pas autant qu'elle. Elle brille dans cette soirée terne. Je viens poser ma main sur sa hanche et embrasse délicatement sa joue. "Tu es magnifique ma chérie." Je reste à ses côtés et salue Orphée d'une poignée de main. "Comment vas-tu jeune homme?" Je lève mon regard vers sa tignasse mal coiffée. "Prêt à déhancher ta chevelure de rêve?" m'enquis-je, toujours cynique.

Le bal d'hiver était sans doute le meilleur événement dont Lachlan eut l'initiative. Beaucoup ignoraient quelle mouche avait piqué Monsieur le Directeur quand celui-ci avait décidé d'organiser une soirée au sein même de l'établissement où une telle musique serait jouée, réunissant personnel et élèves de n'importe quel sexe. Certains soupçonnaient qu'une âme charitable lui avait soufflé l'idée, d'autres voyaient un certain progrès qui mènerait lentement à la mixité de l'internat. Theodore croyait peu aux deux théories et préférait s'estimer heureux d'obtenir une occasion légale de faire la fête. Pour l'occasion, il avait sorti le grand jeu. Il savait pertinemment qu'en fin de soirée, il se retrouverait totalement débraillé. Néanmoins on n'était pas Banana sans un soupçon de folie. Il avait relevé ses cheveux en un tourbillon de boucles qui s'échouaient à la naissance de son front. Sa chemise blanche était finement rayée de noire, accompagnée d'un veston gris anthracite. Enfin sa cravate rouge était assortie aux chaussures bordeaux qu'il avait rarement sorties pour ne pas dire jamais dans l'enceinte de l'école. En somme, Theodore était toujours à son image: excentriquement élégant. C'était de notoriété publique que les professeurs présents saisissaient toujours de l'opportunité pour avoir un œil acéré sur le comportement de leurs poulains mais Theodore n'allait pas contenir plus longtemps l'excitation qui l'avait gagné. Lorsqu'il entra dans les lieux déjà bien fréquentés à cette heure-ci, le son d'un jazz entraînant mais relativement sobre pour un début de soirée acheva de lui donner le sourire. Pour l'instant il ne reconnut aucune tête familière sinon celle du bibliothécaire le plus fréquentable de la librairie, le professeur de français ainsi que sa fiancée, sa compagne ? Theodore n'avait jamais vraiment su. Après un bref salut poli, il s'empressa de rejoindre le banquet sur lequel trônait des merveilles pour les papilles. Il s'empara d'un petit cupcake qu'il enfourna dans sa bouche avant de se tourner vers la grande salle, cherchant activement quelqu'un à embêter.

Un bal, à Lachlan. Qui l'aurait cru ? Pas toi en tout cas. Le directeur qui interdit formellement le rapprochement des élèves filles et garçons, organise aujourd'hui un bal où tout le monde est convié. Filles et garçons. Paradoxale non ? Mais ce n'est pas toi qui vas t'en plaindre. Tu as toujours trouvé cette règle dépassée. Ce n'est pas parce que les garçons et les filles sont ensembles qu'il va y avoir des débordements ou des comportements compromettant. Vous n'êtes pas des animaux, vous savez vous contenir. Ce soir, tu as enfilé une chemise noir et un cravate mauve foncé sur un pantalon de costume foncé lui aussi. Toutefois, pour donner un peu d'éclat à ta tenue tu as ajouté des bretelles blanches. Tu n'aimes pas être habillé tout en foncé, tu as besoin d'un peu de couleur. Tu entres dans la salle. Tu fais quelques pas, cherchant du regard tes amis. Un sourire s'étend sur ton visage quand tu aperçois Théodore au buffet. Tu le rejoins et tu lui tapes sur l'épaule. "Je savais que je te trouverais là, ventre sur pattes" dis-tu en riant. Tu es bien content qu'il soit là et non sur la piste. Tu aimes la musique mais tu est vraiment incapable de danser. Tu as deux pieds gauches, c'est pas de ta faute.

Tu esquisses un sourire amusé au compliment ampoulé d'Orphée qui vient te tenir compagnie et te sauver de la morosité. « Vous n'êtes pas mal non plus, Milord. » affirmes-tu sans moquerie. La couleur du pull ne va pas forcément à ravir à ton collègue bibliothécaire, mais ça n'est pas à toi de le faire remarquer. Éventuellement Penny pourra le faire, si elle passe, mais là encore, tu n'es pas sûre qu'elle va venir jouer au chaperon. Chacun occupe ses soirées comme il le sent. Tu signales à Orphée, d'une voix posée : « Ne te retourne pas, Reeves est à l'autre bout de la salle. Il t'avait interdit de pointer ton nez ici, non ? Qu'est-ce que tu as fait encore ? » Oh, ça t'amuse au final, la façon de faire d'Orphée. Tu commences à le connaître et à le comprendre, même. Mais tu sais bien qu'il risque quand même un peu, à être en guerre couverte contre le vieux Reeves.
Un sourire encore plus grand étire désormais tes lèvres alors que ton fiancé approche dans votre direction. Tu remarques avec bonheur qu'il porte le gilet rapporté de France -signe qu'il doit l'apprécier, sans doute. Tandis qu'il pose sa main sur ta hanche, tu passes la tienne dans son dos et tu lui décoches un clin d'œil complice lorsqu'il te complimente à son tour. Sourire en coin, pas besoin de développer plus sur sa tenue que tu apprécies bien… et qui te donne en même temps quelques pensées qu'il ne faut pas exprimer lorsque l'on est une lady. Pour cacher ta rougeur, tu lui signales à voix pas particulièrement haute : « Mes parents viennent me voir pour le week-end. Tu seras là pour dîner avec eux ? » Et puis, tu jettes un coup d'œil autour de toi alors que Don s'entretient amicalement avec Orphée. Les élèves ne sont pas prompts à se déhancher, mais en même temps la soirée ne fait que commencer. En espérant que tout se déroulera bien, hein.

Tandis que quelques élèves, dont la banane en chef, font leurs premiers pas dans la salle de banquet, Tawny engage la conversation. Je me retiens d'observer la peau laiteuse de sa gorge. Non pas que cela la dérangerait, enfin je ne crois pas, mais il y a du monde autour de nous. Ma réputation ici ne valait déjà pas grand chose, alors autant rester discret. Orphée semble plus attiré par le bar, enfin je crois. Je plonge mon regard dans celui troublant de ma fiancé. Ses yeux si étranges me font toujours le même effet. Ils sont si purs que je me sens à nouveau cruel de lui mentir, un peu plus chaque jour. Je secoue la tête, en réalisant qu'elle attendait une réponse à sa question. "Oui, bien sûr, ma chérie. Je ne manquerais ça pour rien au monde," répondis-je un peu honteux d'être parti dans mes pensées. J'aime beaucoup ses parents, même si son père avait l'air d'être un peu réfractaire à ma personne. Mais c'était certainement parce que j'enlevais sa fille loin de lui, figurativement. "Seulement si tu m'accordes une danse ce soir," ajoutais-je, malicieux, avec mon fameux rictus.

Theodore épiait chaque silhouette qui se dressait devant son regard. Don Menken, le professeur de français s'entretenait joyeusement avec les bibliothécaires. Il n'était plus secret que la jolie femme blonde et lui était un couple affirmé. L'adolescent était tenté d'aller les rejoindre juste pour satisfaire sa curiosité. Ils avaient l'air si parfait, si droit et posé qu'il les soupçonnait parfois de surjouer sur les ordres du directeur. Son internat ne devait-il pas représenter excellence en toutes circonstances ? De quoi pouvaient-ils bien parler ? Il se souvenait parfois de son père au téléphone qui ne discutait que travail et de sa mère qui racontait ses journées à l'hôpital. En somme, les adultes étaient terriblement ennuyeux entre eux. Il continuait donc de grignoter tout ce qui lui passait sous la main, absorbé par ce tableau plutôt comique. Une main vint alors tapoter son épaule et n'eut-il pas le temps de se retourner que Theodore reconnut la voix de son meilleur ami. C'était bien la première personne qu'il espérait croiser à cette soirée. La bouche pleine, il répliqua alors sur un ton faussement outré : « Je ne vois pas de quoi tu parles, je fais juste honneur aux cuisines Lachlan. » Il avala d'une traite sa bouchée puis saisit une petite serviette à disposition pour essuyer sa bouche. Il était impensable de salir ses si beaux vêtements avec du sucre glace. « Alors, tu ne viens toujours pas accompagné ? Elle refuse toujours ? » Tous les deux savaient pertinemment quelle personne ce 'elle' tant mystérieux désignait. Et Theodore ne s'était pas gêné pour accompagner sa réflexion d'un clin d'oeil bien marqué. A ce moment précis, une autre musique plus entraînante démarra. Sans doute espéraient-ils réveiller les convives. C'était suffisant pour Banana qui commença à se déhancher sur le rythme rapide du jazz. Il ne quittait pas des yeux Cameron tant il savait que ce dernier était un piètre danseur, du moins ne s'y risquait jamais. « Toi t'as intérêt à me suivre ! » Il glissa alors vers le centre de la piste encore vide pour se dandiner davantage. Il se moquait de se donner en spectacle, il aimait trop ça pour s'en sentir embarrassé. Puis peut-être que les professeurs auraient un aperçu de ses talents cachés, au-delà de son niveau très moyen en géopolitique et autres matières assommantes.

Il avait été réquisitionné pour jouer les chaperons. Il aurait pu dire non. Mais c'était vraiment pas lui. Après les cours, il était resté un moment dans sa classe, assis à son bureau pour corriger quelques copies. Il aimait enseigner, mais qu'est-ce qu'il détestait cette besogne. Tout en buvant son habituel thé de l'après-midi, il ne vit pas l'heure tourner et déjà le début du bal était passé. Avec empressement il rangea ses affaires dans son sac de cuir, un peu n'importe comment, des feuilles volantes, cornées. Qu'importe, il n'en avait que faire. Il était en retard. Et il n'aimait pas ça.

Quand il pénétra dans la grande salle, redécorée pour l'occasion, il constata que ses collègues, comme ses élèves s'étaient mis sur leur 31. Lui était toujours dans son vieux costume marron sombre, usé par les années. Pour le coup, il avait un peu honte, de faire grise mise à leurs côtés et aussi de ne pas y avoir pensé.

Il resta debout, non loin de l'entrée, à observer attentivement la salle. Il n'était pas là pour s'amuser, mais pour veiller sur ses élèves, une tâche qu'il prenait à coeur. La musique et le brouhaha ambiant lui parvinrent sourdement. Pour l'heure, la soirée ne faisait que débuter. Tout était encore calme. Il s'appuya contre une table, les bras croisés sur son torse. Il avait faim, mais il n'avait pas l'envie de traverser la salle pour se rendre au buffet. Plus tard se dit-il.